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Le site en question. Photo Ahmad Mantache
Une inscription phénicienne a été mise au jour sur le site de l’ancienne école américaine, à Saïda, a annoncé hier Claude Doumit Serhal, chef de la mission archéologique du British Museum. L’inscription de dix lettres incisée sur une assiette est datée, par la paléographie, de la moitié du VIIIe siècle avant J.-C. Vu l’absence quasi complète de textes phéniciens du début de l’âge du fer sur la côte libanaise, cette découverte peut être considérée comme unique, a indiqué Claude Serhal, ajoutant qu’on pouvait y lire MZBH°, qui signifie « autel ». On suppose dès lors que l’assiette a été le support d’offrandes sacrificielles présentées par le personnage dont le nom suit immédiatement MZBH°T et qui est désigné comme le « serviteur » (=BD) d’une divinité.
Par ailleurs, et de part et d’autre de l’inscription, on distingue une encoche en zigzag qui pourrait être interprétée comme un « chin » (en arabe), et deux lettres dont la première serait un /M/ ou un /N/. Un élément de décor est également gravé, mais n’a pas encore été identifié.
L’inscription sera retransmise à des spécialistes pour une étude poussée.
Rappelons que depuis 14 ans, la mission du British Museum entreprend des fouilles archéologiques sur le site de l’ancienne école américaine de Saïda. Ses explorations, sponsorisée par la Cimenterie nationale SAL et la fondation Hariri, ont permis de déterrer un haut lieu de culte funéraire qui a perduré à travers les âges.
L'Orient le Jour 12 juillet 2012
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BOHO, pour bohême et non conventionnel, réunit sous cette couleur particulière et sous le titre « Boho Beirut, a guide to the Middle East’s most sophisticated city », des visages et des lieux qui décrivent, selon l’auteure Shirine Saad, l’énergie d’une ville en perpétuel recommencement.
Shirine Saad, très trendy
Ceci n’est pas un guide, serait-on tenté de dire, à la manière de Magritte. En tous les cas pas un guide ordinaire, souvent barbant, objectif et commun. Entre carnet de notes où l’on peut rajouter ses impressions, carnet d’adresses et guide d’une ville, Boho Beirut, a guide to the Middle East’s most sophisticated city, rédigé par une journaliste qui a le regard et l’expérience des voyages et des mots voyageurs, a pris les airs d’un cahier-compagnon de virée que l’on n’a pas envie de quitter, qui vous colle à la peau, qui recueille les opinions, les états d’âme et les préférences de certaines personnes. « Je suis restée dans le regard de la journaliste qui voyage dans le monde entier et qui lit de nombreux articles sur le sujet. J’ai essayé de garder mon intégrité, sans chercher à faire plaisir à qui que ce soit ou mettre en valeur les amis. » Conçu en toute liberté et subjectivité, il réunit les gens, les lieux, les parenthèses qui nous font aimer cette ville. « Ces êtres qui nous entourent et qui nous inspirent, que l’on rencontre tous les jours et qui nous donnent de l’énergie. J’ai voulu, précise Shirine Saad, exprimer mon amour pour ces gens-là qui font que Beyrouth reste belle. Si on me connaît et qu’on lit cet ouvrage, on remarque vite que c’est tout à fait moi. »
Un parcours intéressant
Pas faux. Shirine Saad est elle-même Boho, un peu glamour, un peu bohême, très stylish dans un look très personnel et qui lui va bien. Après des études d’histoire de l’art et de journalisme, entre Montréal et New York, elle décroche en 2010 une bourse pour Colombia University où elle obtient un MA en journalisme culturel. Son expérience professionnelle s’est faite auprès de nombreux magazines internationaux, Mariage Québec, Fashion magazine, New York Times, V magazine, Elle Québec. Posée, tout comme ses mots bien choisis, bien écrits, dans un ton journalistique qui mêle choix personnel assumé et critères clairs et justifiés, elle a rédigé ce livre de Brooklyn à New York où elle vit, « ce qui m’a permis de rester dans la légèreté », avoue-t-elle. Voulant s’échapper des guides « plutôt ringards, qui ne me parlaient pas, tant au niveau du design, de la photo que de la sélection des endroits », elle rédige cet ouvrage comme un carnet d’adresses personnel, de très belles photos de Tanya Traboulsi et la surprenante mise en page de Laurent el-Khoury, à la fois moderne et nostalgique, sur un papier vieilli, avec des collages et des couleurs apaisantes. Divisé en plusieurs sections, Boho embarque le lecteur dans une balade à travers la ville, de Gemmayzé à Jisr el-Wati, en passant par toutes les places to be, les galeries d’art, les restaurants, les plages et une quinzaine de boutiques. Une balade assortie de rencontres avec des architectes, des designers, des artistes et des cuisiniers émérites. Ainsi, 16 acteurs de la scène locale, Bernard Khoury, Charles Kettaneh, Gordon Campbell, Hussein Hadid, Karen Chekerdjian, Karim Haïdar, Nada Debs, Olivier Gasnier du Parc, Olivier Gemayel, Rosie Abou Rous, Sandra Dagher, Sharif Sehnaoui, Sophie Tabet, Tala Hajjar, Yousef Harati et Youssef Tohmé interviennent pour parler de « leur » Beyrouth en confiant leurs lieux de prédilection. « Je ne voulais pas ressasser les choses que tout le monde connaissait déjà, mais être plus créative, et, plutôt que d’exposer les endroits touristiques habituels, faire une visite des lieux que les personnalités libanaises fréquentent. »
Dans ses projets, outres les voyages évidemment, Shirine Saad aimerait, dit-elle, « faire un guide sur Montréal ou Anvers, une escale extrêmement sophistiquée et créative ».
Concernant Beyrouth, elle rajoute : « Rien n’est définitif, Beyrouth, en permanence sous pression politique, économique et structurelle, bouge tellement ! Ce qui fait à la fois sa créativité et sa faiblesse. Je pourrais réécrire ce guide tous les jours ! »
« Boho Beirut, a guide to the Middle East’s most sophisticated city » de Shirine Saad (éditions Turning Point), en vente aux librairies Antoine, Paper Cup et Virgin.
L’Orient le Jour 09 juillet 2012
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Durant la Semaine de la mode parisienne, les maisons de haute couture libanaises ont présenté à la presse internationale leur savoir-faire avec des pièces uniques, mais aussi aux clientes qui ont fait le déplacement pour découvrir les toilettes les plus chères de la planète.
Le Liban à la Semaine de la mode parisienne.
Dans le calendrier officiel : le très attendu Élie Saab a transposé la féérie de Byzance à Paris. Et cela avant même le début du défilé ; les effluves de la première fragrance de la maison de couture parfument l’entrée du pavillon Cambon, tandis que la foule se presse, cartons d’invitation à la main. La top américaine Karlie Kloss foule le parquet doré d’un pas décidé et ouvre le show dans une robe longue en tulle noir brodé de perles, de paillettes et de dentelles. Trente ans de couture pour Élie Saab et une collection haute-couture très opulente. Comme un retour aux sources, nous confie le créateur. « Dans cette collection, on fait un saut dans le passé dans ma manière de créer, notamment de travailler la broderie. Comme à mes débuts, j’ai choisi de broder le fil d’or sur toutes les robes... » Les créations du couturier libanais aux motifs ottomans semblent « échappées d’un palais ancré sur les rives du Bosphore », précise la note d’intention. Quelques tailleurs peplums en brocard atténuent cette richesse impériale inspirée par Constantinople. « J’ai utilisé le brocard, un tissu très épais, qui rappelle les caftans de la femme ottomane. Fait rare, pour ne pas dire unique, à la fin du défilé, dans la ferveur, une cliente agrippe Élie Saab alors qu’il salue son public. Côté backstage, la chanteuse Elissa, venue pour l’occasion, nous explique que « les robes de mariées sont toujours pour elle un étonnement et un instant magique ».
Toujours dans le calendrier officiel mais loin du faste baroque oriental, le très singulier Rabih Kayrouz a troqué son défilé contre une présentation statique dans ses ateliers parisiens, rive gauche. « Une présentation était la meilleure façon de rendre hommage aux artisans avec qui je travaille. » Cette présentation était aussi un happening, où chaque personne pouvait découvrir de manière lente chacune des 7 silhouettes présentées.
Il fut un temps, pas si lointain, où le nombre de passages minimum comptait pour pouvoir se revendiquer « haute couture ». La crise qui a même touché les maisons de luxe avait rendu ce critère obsolète. Au-delà des clientes, la haute-couture est avant tout l’expression d’un savoir-faire rare pour toutes les maisons de luxe.
Très peu de modèles, mais assez pour sublimer les matières choisies par la maison Rabih Kayrouz : le cuir devient aussi fin que la dentelle, la maille aussi légère qu’une mousseline... Et avec Rabih Kayrouz, la moindre broderie a une fonction, à l’image de ces perles qui constituent un empiècement de la veste. Un vestiaire moderne et luxueux.
Au-delà des distinctions entre calendrier officiel et calendrier « off », la haute-couture parisienne reste exclusive. Ainsi Georges Hobeika a fait le show dans les prestigieux salons France-Amériques de l’avenue Franklin Roosevelt. Dans cette collection nommée « Féerie enchantée », Georges Hobeika explique qu’il a travaillé les volumes avec beaucoup de légèreté. Il a voulu donner de la structure sans charger la silhouette de cette femme qui rêve de romantisme tout en voulant affirmer sa personnalité et sa silhouette. La légende veut que seules 14 femmes dans le monde se partagent le marché de la haute-couture. « Pas du tout ! » s’exclame Georges Hobeika, en ajoutant : « Les clientes libanaises qui s’offrent des robes haute couture pour assister aux mariages dépassent, à elles seules, de loin ce chiffre ! »
Étonnante collection couture pour Basil Soda, connu pour son penchant pour l’architecture avec une présentation automne-hiver poétique. La nature, ses incrustations et ses métamorphoses sont les thèmes qui inspirent Basil Soda. D’ailleurs, il a voulu habiller une femme forte qui a aussi envie de disparaître dans la nature. « Elle assure au quotidien dans sa vie privée et dans la société, mais elle a besoin aussi de se perdre dans un paysage automnal », précise-t-il. Son emblème, le faucon, est très présent avec les plumes et les franges qui viennent protéger cette femme qui recherche le contact avec la nature. Ses robes longues ou courtes épousent le corps ou s’en éloignent au bon gré de la femme façon Basil Soda. Alors que les flashs crépitent, Mélita Toscan Du Plantier, sa première admiratrice, lui glisse à l’oreille : « Tout le monde m’a demandé à Cannes d’où venaient mes robes ! »
Enfin, avec Zuhair Murad, Hollywood regarde toujours vers le Moyen-Orient. Et pour fermer les portes de ce calendrier couture Paris-Beyrouth, le couturier nous entraîne dans une serre luxuriante de soieries, de dentelles et d’effets. La femme Zuhair Murad capte tous les regards. Les paillettes et les broderies sont omniprésentes... Il affectionne les ateliers français avec qui il travaille et n’hésite pas à les citer. « Nous travaillons avec les ateliers Lesage pour certaines de nos broderies ou le plumassier Lemarié. Ces ateliers ont un savoir-faire unique et ce sont de véritables artisans du luxe. » Et à la question : à quand un défilé Zuhair Murad à Beyrouth? « D’ici à quelques mois il y aura l’ouverture de ma nouvelle maison de couture, et peut-être la bonne occasion de faire un défilé ! »
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À la fois poète, orateur, théologien et linguiste, Saïd Akl, dont on vient de célébrer le centenaire au palais de l’Unesco, restera une icône. Viscéralement attaché au Liban, chantre de la Phénicie, l’homme séduit ou étonne, mais ne laisse jamais indifférent. En guise d’hommage, nous avons glané dans ses entretiens des propos qui résument bien sa pensée et confirment à quel point ce personnage est inimitable.
Alphabet
« L’alphabet libanais que j’ai créé comporte trente-six lettres (dont huit voyelles) rendant les phonèmes existant dans toutes les langues du monde. J’ai choisi les caractères latins à cause de leur universalité. Mon alphabet a un but : simplifier, permettre la clarté, ce qui n’exclut ni l’élégance ni la précision. Mon souhait est d’officialiser le libanais et de le substituer à l’arabe dans tout le pays. »
Arabe
« Lorsqu’une langue n’est plus vraiment parlée, elle se sclérose très vite, ce qui entraîne chez ceux qui continuent à l’écrire une véritable sclérose de l’esprit. Les peuples attachés à la langue arabe sont atteints d’aphasie. Depuis six cents ans, ils sont emportés vers l’abîme. Au Moyen-Orient, les dialectes – l’égyptien, l’irakien, le saoudien, le libanais… – ont pris la relève de l’arabe écrit, lequel est maintenu artificiellement. La langue parlée, moins rigide, plus évolutive, plus malléable, a évincé la langue écrite. À terme, la langue arabe est condamnée à devenir une langue morte. Et si je suis devenu l’un des plus grands poètes arabophones, c’est justement afin d’acquérir la légitimité nécessaire pour affirmer cette idée. »
Beauté
« Dostoïevski affirmait que “la beauté sauvera le monde”. La beauté est l’harmonie suprême ; elle est Dieu. »
Culture
« Il n’y pas de création sans culture. Pour créer une œuvre brillante, il faut nécessairement être cultivé. La culture dissipe la peur et l’hésitation : la main de l’artiste ne tremble plus. »
Dieu
« Pour moi, un seul mot définit parfaitement Dieu : Dieu est qualité. »
Europe
« L’Europe, qui doit son nom à la fille d’Agénor, roi de Tyr, déborde la géographie de l’Europe actuelle. Qui peut parler d’Europe sans Byzance, Tarse, le Liban, Bethléem, les deux Alexandrie, Cyrène, Carthage ou Tagaste ? »
France
« À l’époque de la monarchie, le rayonnement de la France était incomparable. C’était le cœur de l’Europe, la fille aînée de l’Église. Avec la Révolution qui s’est dévorée elle-même, le déclin de la France a commencé. »
Liban
« Ce que je souhaite, c’est donner une âme à mon pays. La vocation du Liban est d’empêcher que la civilisation ne recule, car il est à la fois témoignage et témoin. »
Négatif
« Oscar Wilde nous conseille d’éliminer tout ce qui est négatif. Il ne faut garder que ce qui est positif. Il faudrait créer Qamous el-sama, un Dictionnaire du Ciel, ne comportant que des termes positifs (l’amour, la candeur…), à l’exclusion de tout vocable négatif. »
Patrie
« J’ai trois patries : le Liban, le monde et l’univers. »
Poème
« Le plus petit des poèmes peut contenir l’univers et embrasser l’éternité. Le poème est le voyage d’une âme enténébrée vers l’éblouissement des sphères astrales où Dieu seul est la fin. »
Poète
« Il faut que le poète reste en constant état de grâce, à la fois conscient de son pouvoir sur les mots et sur la pensée qu’il exprime, et inconscient des moyens qui lui permettent de parvenir, par le truchement d’une extase comparable à celle de l’amour, à la création… C’est cette extase que le poète transmet à celui qui l’écoute et qui, en l’écoutant, oublie son moi particulier pour communier étroitement avec le poème. »
Religion
« S’il fallait corriger les religions, il faudrait en refouler le Dieu qui foudroie, qui tue, qui envoie en enfer, pour introniser le Dieu qui comprend et fait vivre. »
Saint
« Le premier saint est le larron crucifié en même temps que Jésus. Il fut sanctifié par le Christ lui-même ! »
Science
« Derrière tout chef-d’œuvre, il y a la science. La science est le summum du savoir. Même la poésie est fille de la science. »
Temps
« Si l’homme ne produisait pas, le temps n’existerait pas. Si l’homme produit, le temps devient espoir. Il faut, autrement dit, que chaque instant soit producteur de son temps. »
Union
« Dire que “l’union fait la force” est une aberration. L’union peut parfois se faire autour de l’erreur. Il serait plus exact de dire : la force est dans l’union autour de la vérité. La vérité assure la majorité contre les millions qui l’ignorent. Qui possède la vérité ne craint rien. »
Zahlé
« Enfant, quand j’écoutais la rivière Bardawni qui coule au milieu de Zahlé, je me promettais de composer plus tard des vers épousant son rythme ! »
Saïd Akl in haka (Si Saïd Akl m’était conté), dont la seconde édition augmentée vient de paraître en arabe aux éditions Dergham, retrace l’itinéraire du grand poète libanais. L’auteur, Henri Zogheib, connaît bien son sujet puisqu’il a toujours été très proche de lui. Le lecteur suit avec intérêt le parcours de l’écrivain, depuis sa naissance à Zahlé à nos jours, découvre ses passions pour les lettres et les sciences, ses rencontres avec Senghor et Nazim Hikmet, son engagement politique, son rêve d’un alphabet libanais, ses rapports avec le théâtre et les Rahbani, ainsi que plusieurs poèmes en français, publiés en annexe. Un livre de référence, émaillé de photos rares et de citations édifiantes.
L'Orient le Jour 7 juillet 2012
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Exubérance, panache et violence ont jalonné les cinquante années d’existence du Phoenicia, un des fleurons de la capitale libanaise et premier établissement hôtelier au Moyen-Orient à porter le label d’intercontinental. Fondé en 1961, il était devenu le rendez-vous de l’élite beyrouthine et une destination pour les célébrités internationales. Et qu’importe si la guerre civile va le réduire en un champ de ruines : comme un Phénix renaissant de ses cendres, il reprendra son envol vers une nouvelle aventure, celle du IIIe millénaire. Il méritait un ouvrage. C’est (largement) fait.
Camille Chamoun arrivant au spectacle Mawal de Roméo Lahoud, le 24 février 1965. Photo de la collection Roméo Lahoud.
Signé Tania Hadjithomas Mehanna aux éditions Tamyras, Le Phoenicia, un hôtel dans l’histoire (bilingue français, anglais) déroule sur 430 pages l’hier et l’aujourd’hui de ce luxueux établissement : une occasion idéale pour raconter aux jeunes ou rappeler aux plus âgés les événements remarquables qui ont accompagné l’hôtel, dans une parfaite concomitance de deux volets presque siamois: la grande histoire (du Liban) et les petites histoires (du Phoenicia).
Puisant dans les archives des journaux, s’appuyant sur plusieurs témoignages, particulièrement ceux de Nana Gebara, ancienne journaliste à L’Orient, et dans un tourbillon d’affiches, d’images, de cartes postales empruntées à des collectionneurs, mais aussi de ces bruits et de ces odeurs chevillés au corps de tout Libanais amoureux de son pays, l’auteure recrée une ambiance presque cinématographique, dessinant en filigrane le portrait de Beyrouth. Cette ville à la fois maman et putain dont les quartiers, les cinémas, les théâtres, les boîtes de nuit, l’infrastructure touristique et même l’aéroport (de Khaldé, qui accueillera plus d’un million de passagers en 1959) continuent au XXIe siècle de faire saliver aussi bien les nostalgiques de tout poil que cette jeunesse qu’on dit, déjà, totalement désabusée.
L'ancien Premier ministre Rafic Hariri supervisant en 1997 le projet de reconstruction du Pheonicia. Photo Dar Assayad.
En 1955, le premier guide paru sur le Liban, le Guide bleu, aux éditions Hachette, relève déjà que Beyrouth est un vaste chantier: «On continue d’abattre les vieilles masures qui l’encombrent, à démolir certaines parties des anciens souks, d’un pittoresque malpropre et malsain, sur l’emplacement desquels se dressent ou se bâtissent de grands buildings. » Tania Hadjithomas Mehanna résume : «Tourisme, villégiature ou business, le Liban est dans son âge d’or.» Où l’on apprend, entre autres, que grâce au sérieux et à l’enthousiasme de la commission nationale de tourisme créée en 1962 et de la PanAmerican qui intègre le Liban dans son circuit, l’année 1966 constituera un record avec des recettes «de l’ordre de 100 millions de dollars». De quoi faire saliver, 46 ans plus tard, n’importe quels ministres du Tourisme et des Finances...
En attendant, le Phoenicia, dont la construction avait commencé en 1954, est inauguré en grande pompe le 31 mars 1962. Commandité par l’homme d’affaires, député et ministre Nagib Salha et ses associés, cet hôtel, surnommé «La Grande Dame» tant la bâtisse suinte littéralement de noblesse et d’élégance, a été conçu par l’architecte américain Edward Durell Stone, à qui l’on doit notamment le musée Huntington Hartford, le gratte-ciel de la General Motors et le Kennedy Center for Performing Arts à Washington. Les bureaux libanais Rodolphe Élias et Ferdinand Dagher ont activement collaboré à cette entreprise homérienne.
Terra incognita
Il n’y a pas, dans l’imaginaire des uns et des autres, que Le Grand Hôtel des Bains de Venise, par exemple, que Thomas Mann et Luchino Visconti, entre tant d’autres, vénéraient. Le Phoenicia aussi appartient à cette catégorie de palaces qui ont toujours eu les faveurs des grands voyageurs et des épicuriens. Pour quelques heures, un jour, une semaine, un mois ou à l’année, nombreux sont ces nomades du luxe qui en ont fait leur domicile provisoire: Marlon Brando, Ann-Margaret, Claudia Cardinale, Jean Bruce (le père de OSS 117), Gilbert Bécaud, Georges Hamilton, Sean Flynn, Brigitte Bardot et Gunter Sachs, Omar Charif et Faten Hamama, Joan Crawford, Mohammad Ali Clay, Eugène Ionesco, Jean Claude Van Damme, Sacha Distel, Shirley Bassey (tombée amoureuse d’un beau brun ténébreux, elle achètera un terrain à Maameltein!), etc. Fous de curiosité pour ce Liban véritable pays-message avant l’heure, quelque chose d’indicible les fascinait dans cette terra incognita, véritable pont entre deux rives que l’on croyait injoignables: l’Orient et l’Occident. Le rouge et le noir ne s’épousent-ils pas?
Istanbul, à l’époque, pouvait aller se rhabiller et c’était entre autres grâce au Phoenicia : véritable creuset ardent où tout était dédié aux six sens et à la fête collective, cet hôtel deviendra vite le sanctuaire du Festival international du cinéma et des grands bals, celui des Petits Lits blancs, d’April in Beirut, des orthodoxes, du Conseil central des maronites, de la Croix-Rouge, surtout, ce bal au cours duquel Rachid Karamé décrochera lors du tirage de la tombola un billet d’avion aller-retour Beyrouth-Paris, et l’ambassadeur de France, le baron de Boisséson, une Vespa que sa femme enfourchera tout de suite sur la piste ! À son tour, le président Camille Chamoun, parangon du Liban triomphant et glamourissime, offrira un bal en l’honneur du roi de Grèce.
Point de vue,
images du monde
C’était comme cela ; altesses royales et chefs d’État ont goûté à la dolce vita made in Phoenicia: la begum, Albert et Paola de Belgique y ont séjourné et dîné au Paon rouge; l’épouse du président indonésien Hartini Sukarno s’était arrêtée en mai 1962 avant d’aller effectuer son pèlerinage à La Mecque, et on raconte que «sous une pluie battante, elle a tenu à se promener à Souk el-Tawilé ». Sur son chemin vers Jérusalem, la Première dame du Mexique Eva Samano de Lopez Mateos et sa fille ont séjourné à l’hôtel. En 1962, Lyndon Johnson, vice-président des USA, a siroté un dry martini au bar –
olives libanaises incluses... En 1964, Richard Nixon en escale à Beyrouth s’est reposé à l’hôtel avant de rencontrer le président Fouad Chéhab. Le roi Olav de Norvège, en route pour Téhéran, s’arrêtera lui aussi au Phoenicia. En mars 65, c’est le président tunisien Habib Bourguiba qui a assisté au spectacle de Roméo Lahoud au théâtre de l’hôtel, avant de donner un dîner grandiose au ball room en l’honneur du président Charles Hélou. En février 66, Juan Carlos d’Espagne et la princesse Sophie de Grèce qui résidaient à l’hôtel, ont visité les ruines de Baalbeck et dîné à la table du chef de l’État. Même la reine Homeira d’Afghanistan a choisi le Phoenicia pour une visite privée de cinq jours. En 1969, le président de Chypre Makarios III a été servi par les directeurs : les employés de l’établissement étaient... en grève! Ensuite, au début des années soixante-dix, se sont succédé les princes saoudiens, Kurt Waldheim, alors secrétaire général des Nations unies, le duc et le duchesse de la Rochefoucauld qui ont assisté au Paon rouge à une grande soirée donnée par Danielle Cattan, etc., pendant que les grands couturiers, alléchés par l’élégance des Libanaises, se précipitent dans les lobbys dorés du Phoenicia pour organiser des défilés qu’on dit inoubliables : Santo Versace, Jean Patou, Paco Rabanne, Lanvin, Pierre Cardin, Carven, Balmain campaient dans l’hôtel...
Dorléac et von Sydow
Cinéphile (c’est génétique...), Tania Hadjithomas Mehanna raconte aussi que le Phoenicia a servi de décor à de nombreux films. Les scènes de Where the Spies Are, avec David Niven et la délicieuse Françoise Dorléac, la sœur trop tôt disparue de Catherine Deneuve, seront tournées à Hamra, au souk des bijoutiers, à Maarad, à la place des Martyrs, mais aussi aux abords de l’hôtel. L’une des scènes de Les Espions meurent à Beyrouth a été filmée au théâtre du Phoenicia. La piscine de l’hôtel a également servi de cadre à une des scènes de Échappement libre avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, ainsi qu’à Embassy de Gordon Hessler, produit par Mel Ferrer et mettant en scène Marie-José Nat, Richard Roundtree et le hiératique Max von Sydow. Dans Embassy, on pouvait reconnaître, outre l’hôtel, la gendarmerie de Baabda, le palais Pharaon, Byblos et Beiteddine...
Fusion
Mais au Liban plus qu’ailleurs, le destin, l’histoire, la géographie et les malédictions sont les plus forts. Tout cela, toutes ces richesses, cette sérénité, cette normalité, c’était hier, avant la grande régression de 1973, avant que les lustres ne s’éteignent et que les flonflons ne se taisent ; avant que la guerre civile en 1975 ne transforme le luxueux bâtiment en une ruine fumante qui servira de cadre au Faussaire de Volker Schlondorff en 1980.
Reconstruit en 2000, doté de deux annexes, le Phoenicia a repris depuis son rôle de leader hôtelier en accueillant congrès, sommets, chefs d’État, stars, businessmen et les familles princières de la région... Près de cinquante ans après, son histoire reste étroitement, presque organiquement liée à celle d’une ville-monde: Beyrouth. Fusionnelle. Et, les Libanais le souhaitent férocement, éternelle.
L'Orient le Jour 29 juin 2012
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