Pour Château Kefraya, l’année 2013 commence par des récompenses prestigieuses. Robert Parker vient de noter de 92 points/100 le Comte de M 2009, le vin rouge de prestige du Château. C'est la plus haute note jamais décernée à un vin libanais par le gourou mondial du vin. Selon le communiqué du Château, « Cette distinction est le fruit d’une quête qualitative constante symbolisée par la devise Semper Ultra et qui propulse le Comte de M à un niveau de reconnaissance dont ne peut se prévaloir qu’un cercle restreint de grands noms viticoles au monde ».

De même, Vissi d’Arte 2010, le vin blanc de Kefraya obtient 89 Points/100 égalant ainsi son propre record pour un vin blanc libanais.

Beyrouthparis.com proposera à la vente ces deux vins dès leur commercialisation en France.

Bravo Château Kefraya

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Jacques Berthomeau était présent à la dégustation des Vins du Liban organisée par beyrouthparis.com le 3 décembre dernier. Son choix s'est manifestement porté sur le blanc du Domaine de Baal. Voici comment il en parlé sur son célèbre blog.

Je suis franc, je ne vais pas vous parler des vins du Liban mais d’1 Vin du Liban : le blanc du domaine de Baal

Les emballements collectifs, sans jouer sur le nom du domaine cité en titre, provoquent toujours chez moi un brin de réticence. « Les vins libanais sont à la mode », affirme à l'AFP Frédéric Bernard, directeur général d'une société de négoce de vins de Bordeaux, Bordeaux Tradition. « Ils sont moins standardisés que ceux du Nouveau monde, on y trouve de vraies différences ».

Bien évidemment cette soudaine montée du désir n’est en rien liée à l’entrée deCarlos Ghosn, flanqué du consultant-star Hubert de Boüard, l’homme de l’Angélus, dans le capital d’Ixsir. La couleur est annoncée, le plan com. bien rodé : « Ixsir, un vin conçu pour être l’ambassadeur chic du Liban et jouer dans la cour des grands. » Tout pour plaire, « site préservé de 60 hectares » et « 4000 mètres carrés d’installations tout ce qu’il y a de plus modernes (récompensées par un Green good design Award et sélectionnées par CNN parmi les 10 bâtiments les plus écologiques du monde),  entièrement souterraines… » 

Loin de moi, avec cette remarque, d’ironiser sur l’irruption des vins libanais dans le concert des « grands vins ». Tant mieux, plus l’excellence progresse, plus le niveau se hausse, plus j’applaudis des deux mains. Mon statut de modeste Taulier d’une petite crèmerie de quartier ne me permet pas d’en juger. Je laisse cette besogne aux grands spécialistes, tel Jean-Marc Quarin qui a élevé au  rang de meilleur vin jamais produit au Liban le dernier né d’Ixsir, EL. Laissons du temps au temps, les juges autoproclamés aux élégances ne sont pas très souvent ceux qui font la tendance sur le long terme.

Cependant chez moi le hasard fait souvent bien les choses, et plus particulièrement les jours sans. Le soir où je suis allé, un peu flapi, pour faire plaisir à une amie, à une dégustation des vins du Liban dans les beaux quartiers de Paris, je ne me doutais pas que j’allais faire une très belle rencontre. Pour ne rien vous cacher, à peine arrivé, j’ai pensé m’en retourner car c’était bondé. La cohue, le coude à coude je ne suis pas très amateur, mais comme j’étais en service commandé je me suis jeté dans la mêlée. Je fus pris en mains de suite. Placide je laissais déferler tout ce que l’on me racontait alors que je ne demandais rien. Je suis assez bon comédien. 

Fourbu mais vaillant j’atteignis, tout au fond de la salle, une oasis tenue par un sourire. Je me posais sur une banquette pour observer la geste de celle qui captait l’attention muette de grappes de dégustateurs. Nous passions de la profusion à la discrétion, à l’attention. Vous ne pouvez pas savoir comme ça fait du bien de  pouvoir apprécier, se faire sa petite idée, sans le secours d’un discours formaté. Le temps suspendait son vol dans cette ruche désordonnée. Rasséréné, toute fatigue oubliée je tendais mon verre. Le blanc du domaine de Baal versé par un sourire m’attendait.

Loin de tout, hors tout l’alchimie du plaisir s’opérait. L’épure, j’aime ce mot, la mise à pur, une projection en 3 dimensions qui n’a nul besoin de mots pour décrire l’objet représenté. Voir ainsi le vin peut sembler défier la rationalité mais qu’importe, j’éprouvais la même émotion, au contact de ce vin inconnu, que face à la découverte, il y a bien des années, de l’œuvre du peintre Estève. Un choc, une vraie rencontre, doublée d’une intrusion dans mon univers, ça me dérangeait, ça me gagnait et ça trouvait naturellement place dans mon petit jardin d’intérieur.

Aligner des qualificatifs élogieux pour vous faire partager mon enthousiasme face à ce vin blanc du domaine de Baal n’y ajouterait rien. Ce que je puis écrire c’est qu’il a trouvé tout naturellement sa place dans mon univers car il correspond en tout point à mon imaginaire et à ce que je recherche. Ce vin je l’aime en soi, pour lui-même, sans aucune espèce de référence ni à son origine, ni à ceux qui l’ont fait naître, car je confesse que j’ignorais et, j’ignore toujours tout, de ce que sont les vins du Liban. Difficile de suivre un ignare sauf à venir partager son univers.

Le Liban dans ma mémoire c’est d’abord la complexité des communautés, puis le souvenir de quinze années (1975-1990) d’une longue et brutale guerre civile et enfin la paix revenue les deux années de coopération culturelle passée par Anne-Cécile, ma fille, et Edouard à Beyrouth.  Ils reviendront avec en poche le scénariod’Autour de la maison rose (titre originel Al-bayt al-zahr, en arabe البيت الزهر) qui deviendra un film réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige et sorti en 1999. Il sera le socle de leur petite entreprise de production de films Mille et Une Productions. Le synopsis « Tout va très bien. Voilà ce que tout porte à croire dans le Beyrouth de l’après-guerre devenu l’un des plus grands chantiers du monde. La guerre se voudrait un accident de parcours, une parenthèse que l’on ferme rapidement. On cherche à cicatriser la blessure sans pour autant la guérir. Témoin de toutes ces années, dépositaire de tant de souvenirs, la maison rose est une métaphore de la mémoire. Elle fonctionne comme un miroir où chacun projette ses fantasmes et ses peurs, où chacun dévoile ses espérances et ses blessures. Et pourtant, la maison rose va être détruite… »

Mais comme toujours avec le vin derrière chaque bouteille il y a une histoire et votre Taulier n’est pas là seulement pour vous bassiner avec ses émotions personnelles. Rendez-vous fut donc pris par lui  auprès d’Aurélie, pour le lendemain, avec Sébastien Khoury l’homme par qui le domaine de Baal est né. Sa famille l’a fait naître à Pauillac dans le Médoc où son père était médecin. Y’a pire comme lieu pour tomber amoureux du vin. Rentré au Liban en 1994 le père de Sébastien plante de la vigne sur des terrains, de très beaux terroirs, achetés avant la guerre civile. Sébastien se pique au jeu et décide de reprendre le vignoble et l’agrandir. En 1999 il repart à Saint-Emilion pour se former à la vinification et passe 7 ans au château La Couspaude suivi par Michel Rolland. Début 2006 il rentre au Liban, construit les caves et lance le domaine de Baal  deux semaines avant la guerre entre Israël et le Hezbollah. « Ce fut difficile, mais aujourd'hui, nous exportons 40% de la production », dit-il avec philosophie. 

Le vignoble a été entièrement réimplanté sur des terrasses abandonnées avec un terroir d’argile rouge sur des sols calcaires. 4 ha et demi et 2 ha à planter, le domaine est un petit domaine certifié bio et qui met en œuvre quelques méthodes biodynamiques produit 12 à 13 000 bouteilles actuellement pour arriver à 30 000. Sébastien n’irrigue pas son vignoble : en arabe Baal signifie une terre fertile non irriguée. Le domaine est situé à une trentaine de km dutemple de Bacchus à Baalbek. Sébastien est passionné par les questions environnementales et son approche peu interventionniste le place dans une situation très originale dans le conteste vinicole libanais dominé par les « deux grands », Ksara et Kefraya (deux tiers des ventes). 

 

Je ne sais si les vins du Liban sont ou non à la mode, ce qui d’ailleurs ne présente pas un grand intérêt dans la mesure où par définition les modes passent, mais ce dont je suis certain c’est que leur notoriété ne viendra pas de la reproduction d’un modèle de type grand vin mais par la construction patiente de vins originaux, en adéquation avec leurs terroirs, les hommes et de lieux imprégnés d’Histoire. Les références sont utiles mais elles ne font que s’ajouter à ce que souhaite faire la main de l’Homme. C’est d’une viticulture de précision, de vins soucieux de la terre où ils sont nés, que l’industrie du vin au Liban tirera une renommée durable. Sans verser dans le petisme ou manier le concept de marché  de niche dont j’ai du mal à saisir la portée, l’avenir du Liban est au domaine à taille humaine. L’approche de Sébastien Khoury et de son domaine de Baal me semble être la meilleure et surtout celle qui nous propose et nous proposera des vins originaux et authentiques. Ça n’empêchera pas les grands domaines de vivre.

Un dernier mot sur Baal qui évoque pour moi, au temps du catéchisme, le culte du veau d'or. Dans la Bible il n'a aucune identité précise, mais rassemble toutes les divinités qui pouvaient détourner le peuple de Dieu du droit chemin. Dans le livre des juges chaque histoire commençait par : « Le peuple de Dieu se détourna du Seigneur et adora les Baals… »

« Le baalisme était une religion essentiellement agricole. Les Baals étaient, en effet, les époux et seigneurs du sol, d'eux dépendaient la croissance des récoltes, la maturité des fruits, la prospérité du bétail; ils étaient associés à toutes les entreprises rurales, et le cultivateur, le vigneron, le berger leur vouaient une dévotion fervente. L'inspiration animiste de leur culte n'est donc guère contestable, ils personnifiaient des forces naturelles (fertilité, germination), et on les adorait sur les hauts-lieux et dans les bocages sacrés. Les libanais appellent encore terres de Baal,  les régions rendues fertiles par une nappe d'eau souterraine. Baal se retrouve ainsi partout dans le Moyen-Orient, depuis les zones peuplées par les sémites jusqu’aux colonies phéniciennes, dont Carthage en Tunisie et bien d’autres villes du Liban, la plus connue restant Byblos. » 

Pour les fêtes de Noël j'ai fait découvrir le blanc du domaine de Baal à Anne-Cécile et Edouard : un ravissement renouvelé et des souvenirs évoqués. J'oubliais ce grand blanc est élaboré avec du Sauvignon blanc et du Chardonnay à parts égales. Je suis incorrigible, toujours beaucoup de mal avec les détails...

Jacques Berthomeau le 3 janvier 2103

sur https://www.berthomeau.com/10-index.html

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LE MARCHÉ MONDIAL DU VIN CONTINUE DE BASCULER VERS L'ASIE. Dernier signe tangible de cette révolution, le 11 décembre dernier, Robert Parker, fondateur de la très influente revue Wine Advocate, annonçait au Wall Street Journal qu'il vendait son titre à des intérêts asiatiques. Le critique le plus connu du monde cède ainsi la majorité de ses parts au Singapourien Soo Hoo, fondateur d'Hermitage, un gros importateur et distributeur de vins. Dès fin 2013, cette bible mondiale des grands crus cessera d'être diffusée sur papier, et la responsabilité éditoriale en sera confiée à son actuelle correspondante à Singapour, Lisa Perrotti-Brown. On murmure que Parker - qui devrait continuer son activité de critique sur les bordeaux et les vins de la vallée du Rhône - a vendu "le Parker" pour 15 millions de dollars (11,3 millions d'euros). Cette décision fait écho à la progression considérable de la consommation de vin en Asie, un continent qui devrait fournir plus de la moitié de la croissance du secteur dans les trois ans àvenir. Ainsi, la Chine est récemment devenue le cinquième consommateur de vin au monde. "Le marché asiatique a atteint sa maturité dans les dix dernières années et il ne serait pas réaliste de ne pas participer au mouvement", a expliqué M. Parker au Wall Street Journal. En même temps que son centre de gravité se déplaçait vers l'Orient, le vin est devenu une valeur refuge. Avec la crise et la volatilité grandissante des placements traditionnels, nombre de nouveaux investisseurs y voient un "produit défensif" rassurant dont la rentabilité serait peu susceptible de se dégrader dans les années à venir. Dans ce contexte, le guide Parker peut être considéré comme une belle prise pour Hermitage.

L'histoire de Robert Parker commence en 1967 lorsque ce jeune homme venu du Maryland commande un verre de vin rouge dans un restaurant de Strasbourg, parce qu'il trouve le Coca-Cola trop cher. L'histoire ne dit pas ce qu'on lui sert, mais la révélation est immédiate. Devenu avocat, Robert Parker, aujourd'hui âgé de 65 ans, commence à publier une newsletter confidentielle et détecte avant tout le monde les vertus du millésime 1982, à Bordeaux, que les critiques étaient unanimes à trouver médiocre. La légende Parker est en marche. Il se lance à temps-plein dans la critique et déploie une volonté d'indépendance radicale, prônant les dégustations à l'aveugle et refusant d'accueillir la moindre publicité dans ses colonnes. Le Wine Advocate se veut le champion de la défense du consommateur, dans la lignée d'un Ralph Nader. Et, pour rendre plus percutants ses avis, il les assortit d'une note sur 100. Intuition géniale. A partir des années 1990, la note Parker va exercer sur le marché une influence démesurée.

Un tel système ne pouvait que susciter la controverse. Le goût affiché du critique pour les vins puissants et concentrés ainsi que sa prédilection pour les élevages en barrique neuve heurtent les tenants de vins moins explosifs mais plus complexes. Sa préférence pour les vins de Bordeaux et de la vallée du Rhône ulcère les producteurs des autres régions. Nombre de "wine makers" se retrouvent accusés de faire des vins "technologiques", dans le goût de Parker. On a même inventé un nom pour définir ce processus : la "parkerisation". Une manipulation sans intérêt médical, du bodybuilding. En 2003, le film Mondovino, deJonathan Nossiter, l'a dépeint en grand architecte de l'uniformisation des goûts.

Confirmation de la fin annoncée de la toute-puissance du consommateur américain, et de l'avènement de la domination sans partage du consommateur chinois, la nouvelle version du Wine Advocate mettra un accent plus prononcé sur l'Asie. Une édition abrégée du bulletin lui sera consacrée. Un correspondant sera embauché en Chine afin de rendre compte de l'émergence de la viniculture dans ce pays, mais également en "Thaïlande et dans d'autres pays", a précisé Lisa Perrotti-Brown. Pour le Wine Advocate, cédé à un distributeur de vins, c'est aussi la page de l'indépendance qui se tourne. Désormais, la revue accueillera de la publicité.

Jérôme Gautheret

Le Monde 30 décembre 2012

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ll aura fallu près de 12 ans pour que l’Institut de la Vigne et du Vin (INVV) voit enfin le jour. Voulue par la loi de 2000 qui réglemente la production de vin, la création de ce nouvel organisme vient seulement d’être approuvée en Conseil des ministres. Cause de ce retard à l’allumage ? Le rôle de l’Etat, qui devait abonder à son budget de fonctionnement, et qui s’y refusait.

Depuis 2000, ses objectifs n’ont guère changé : l’INVV a pour ambition d’organiser le secteur viticole et vinicole libanais. En clair, cet organisme doit avoir un rôle de « tête de réseau national » pour l’ensemble des acteurs de la filière, en particulier dans la recherche et le développement. « On lui demande de conduire des études – ou de trouver les relais pour assurer ces recherches - pour l’ensemble de la filière viti-vinicole, dans les domaines de la sélection végétale, de la viticulture, de la vinification et de la mise sur le marché des produits », explique Zafer Chaoui, président de Château Ksara (Békaa) qui a œuvré au sein de l’Union Vinicole libanaise (UVL) pour la création de cet institut.

Parmi ses autres buts, l’Institut doit également faire le lien entre les producteurs libanais et l’Organisation internationale du Vin (OIV), un organisme auquel a adhéré le Liban en 2005. « Cet institut doit aussi nous ouvrir de nouveaux marchés en garantissant aux consommateurs la qualité et la provenance des vins qu’ils achètent ».

On ignore, pour l’heure, le montant de son budget de fonctionnement. « L’INVV sera financé par les cotisations de ses membres, des donations et vraisemblablement une aide de l’Etat », précise Zafer Chaoui. En 2000, quand la loi édictant sa création avait été votée, le budget de fonctionnement envisagé tournait alors autour des 500.000 dollars annuels. « Aujourd’hui, il nous importe avant tout de lancer cet institut. Nous pouvons démarrer avec peu : il est possible que l’INVV soit domicilié au sein des bureaux de l’UVL ou de locaux vacants du ministère de l’Industrie à titre gracieux. » Prochaine étape : la nomination de son conseil d’administration (huit membres) et l’élection de son directeur général.

Des structures équivalentes existent dans le monde. En France, par exemple, un institut similaire a été fondé en 1977 afin d’aider le secteur à améliorer sa production. Il emploie 140 personnes et est doté d’un budget annuel de 11 millions d’euros.

Le Commerce du Levant 2 janvier 2013

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Par Bahjat RIZK 

Pour introduire ce sujet récurrent, de plus en plus d’actualité avec la mondialisation, je reprendrai la définition adoptée par l’Unesco, conformément à une convention internationale adoptée par la conférence générale en 2003 et ratifiée à ce jour par 146 pays, y compris le Liban, début 2007. On entend par « patrimoine culturel immatériel » les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire que les communautés reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel, transmis de génération en génération ; il est recréé en permanence en fonction du milieu, de l’interaction avec la nature et l’histoire, et procure un sentiment d’identité et de continuité aux communautés qui en sont détentrices. Ce patrimoine traditionnel et moderne nourrit la diversité culturelle et la créativité. Seul le patrimoine immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés et d’un développement durable est pris en considération. Il existe plusieurs dispositifs complémentaires au niveau international pour soutenir la sauvegarde : une liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente, une liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (à l’instar de celle du patrimoine mondial regroupant les sites naturels et culturels classés par l’Unesco en application de la convention de 1972) et un registre des meilleures pratiques de sauvegarde. La septième session du comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel, immatériel vient de se tenir au siège de l’Unesco du 3 au 7 décembre 2012. À ce jour, la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente comprend 27 éléments dans 15 pays (plus 8 candidatures lors de cette session), la liste représentative du patrimoine culturel immatériel compte 232 éléments dans 86 pays ( plus 36 candidatures lors de cette session). Le registre des meilleures pratiques de sauvegarde compte 8 programmes (plus 2 candidatures). En outre, dix demandes d’assistance internationale pour des plans de sauvegarde ou d’inventaire ont été examinées par cette session par le comité qui regroupe 24 membres des États parties à cette convention élus pour un mandat de quatre ans, dont la moitié est renouvelée tous les deux ans. Après cette brève présentation technique indispensable, il est important de voir comment le Liban se situe par rapport à cette convention, son esprit et sa répercussion sur le plan de l’identité nationale. Tout d’abord, cette notion de patrimoine culturel immatériel interactif, donc dynamique, qui procure une identité et une continuité concernant les communautés, autrement dit en deçà ou au-delà de l’entité juridique d’un pays et de ses frontières, est née avec la mondialisation. Pour la première fois au niveau international, on parle de communautés sans qu’elles soient spécifiquement nationales. Or, au Liban, qui est lui-même composé de communautés religieuses culturelles et politiques, cette notion transcommunautaire de patrimoine immatériel contribue fortement à l’élaboration d’une entité nationale qui soude les Libanais et rattache le Liban à son environnement et au reste du monde, tout en respectant sa spécificité. D’autre part, à travers cette notion de patrimoine culturel immatériel (ou patrimoine vivant), nous réalisons que le processus d’identité n’est pas statique mais qu’il s’agit bien d’une dynamique d’identification reposant, certes, sur des éléments structurants de base mais qui interagissent de manière interactive et évolutive. En s’inscrivant dans une construction progressive basée sur le vécu (ou le vivre-ensemble) et l’histoire, le patrimoine culturel immatériel crée l’échange, donne en partage, restitue le lien et constitue le patrimoine transmissible à travers les hommes et les générations. En outre, cette démarche doit nécessairement s’inscrire dans le cadre des droits de l’homme et de l’exigence du respect mutuel entre les communautés et d’un développement durable. La convention de 2003 établit un cadre cohérent et pratique, en conformité avec l’esprit et les idéaux de l’Unesco, pour répondre au mieux aux défis de la mondialisation et des peurs ancestrales et archaïques qu’elle peut faire ressurgir.

De manière concrète, on peut observer qu’au Liban, la loi de 1993 qui institua le ministère de la Culture ne faisait pas mention de ce patrimoine et ne prévoyait pas de structure chargée de ce suivi qui n’avait pas encore été suffisamment identifié et conceptualisé (voir L’Orient-Le Jour du mercredi 12 décembre 2012). Toutefois, dès la ratification de la convention en 2007, le ministère de la Culture a été réorganisé pour intégrer une sous-direction spécifique au patrimoine culturel immatériel libanais. Une mise en place d’un inventaire du patrimoine immatériel national est en cours, composé d’arts populaires, de pratiques et de traditions sociales tels que le zajal (poésie dialectale improvisée ou joutes poétiques dialectales rimées), de contes, légendes et mythes, de savoir-faire artisanaux (coutellerie, verrerie, tissage au fil de soie, fabrication de cloches, tapisserie...), de chants poétiques du Mont-Liban, de pratiques des derviches tourneurs de Tripoli, de musiques et chants de musique savante arabe (wasla, mouwachah, qassida, ghazal...), des chants de bédouins, des savoirs traditionnels en matière médicinale, de la fabrication du oud, de la dabké, etc. En bref, ce patrimoine immatériel libanais appartient à tous les Libanais, toutes communautés libanaises religieuses confondues, et leur permet de se retrouver et de s’identifier collectivement à travers des moeurs communes, au-delà de leur appartenance religieuse spécifique. Les deux concerts organisés par la Lebanese Diaspora Overseas avec la Délégation du Liban auprès de l’Unesco pour la fête de l’Indépendance, l’année passée et cette année, avec la dabké et les chants folkloriques nationaux et arabes, ont démontré la capacité fédératrice de ce type de manifestations chaleureuses, éloquentes et vivantes qui soudent les Libanais entre eux, ainsi que les Arabes et les Orientaux, et les font communiquer dans une même ferveur autour des mêmes valeurs universelles de liberté, d’amour de la terre, de dignité, d’attachement aux racines, de fierté et d’ouverture sur le monde. Les Libanais, toutes communautés et toutes catégories sociales confondues, communient et se rejoignent affectivement et spirituellement de manière naturelle dans ce type de rencontres. C’est une expression authentique et profonde d’un patrimoine commun festif, musical, linguistique, chorégraphique et social. Avec la nourriture libanaise (qui fait partie du patrimoine immatériel), ce patrimoine culturel vivant fait l’unanimité. D’autre part, le projet en cours Patrimoine méditerranéen vivant (Medliher: Mediterranean Living Heritage) vise à la sauvegarde du patrimoine immatériel méditerranéen en facilitant la mise en oeuvre de la Convention pour la préservation du patrimoine immatériel de 2003 de l’Unesco dans quatre pays méditerranéens, l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie. C’est un projet dirigé et financé par l’Unesco et l’Union européenne en partenariat avec l’association «Maison des cultures du monde» et les ministères compétents des quatre pays précités. Après la réunion du Caire en novembre 2010, une réunion se tiendra à la Maison des cultures du monde du 17 au 18 décembre à Paris. Le bureau régional de l’Unesco à Beyrouth a également organisé un atelier sous-régional au Liban en juillet 2011 autour de la mise en oeuvre de la convention de 2003. Il est donc très important de souligner la nécessité de la prise de conscience, de sensibilisation et de formation tant au niveau des décideurs politiques et économiques gouvernementaux qu’à celui des individus, des groupes, des communautés, des associations et des ONG. La société civile a un grand rôle à jouer dans l’identification, l’inventaire et la protection du patrimoine culturel immatériel. Nous avons d’ailleurs une demande d’accréditation auprès du comité d’une ONG: la Fondation pour l’archivage et la recherche de la musique arabe : Arab Music Archiving Research (AMAR). Différents projets dans le même sens ont vu récemment le jour au Liban, notamment la création du Centre du patrimoine musical libanais de Jamhour (CPML) présidé par Joumana Hobeika et créé à la suite du recensement de 132 compositeurs libanais de musique savante par Zeina Saleh Kayali dans son ouvrage Compositeurs libanais des XXe et XXIe siècles, ou la création de la fondation Liban Cinéma (FLC) présidée par Maya de Freige et la Fondation arabe pour l’image (FAI) dirigée par Zeina Arida. D’autres initiatives généreuses et très engagées sont également en cours pour inventorier ce patrimoine fédérateur vivant et vital pour la préservation de l’identité libanaise. Certes, la constitution et la prise de conscience du patrimoine culturel immatériel dans le cadre de la Convention de l’Unesco de 2003 sont encore à leurs débuts et ne peuvent pas à eux seuls résoudre les conflits identitaires, y compris au Liban. Toutefois, c’est un processus rendu encore plus indispensable par la situation au départ complexe libanaise et aujourd’hui par la mondialisation pour renforcer la solidarité et le dialogue des cultures, respecter la diversité culturelle, rejoindre le développement durable et préserver la paix entre les hommes. C’est un enjeu majeur de notre siècle à venir, pour établir une plate-forme commune à une humanité diverse et unifiée, soucieuse des droits de l’homme et de l’exigence du respect mutuel entre les communautés.

Paru dans l’Orient le Jour, mercredi, 12 décembre 2012

 

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