Danielle Arbid, Lamia Ziadé et Mannal Issa s'emparent de la galerie Cinema dans la capitale française pour une expo vitaminée et subversive...

Depuis 2013, Anne-Dominique Toussaint, productrice des films de Nadine Labaki et de Riad Sattouf, invite le 7e art dans sa galerie, un espace dédié à l'influence du cinéma sur la création contemporaine. « Exotic Girls » est la nouvelle exposition qui met à l'honneur la réalisatrice Danielle Arbid.

Étiquetée « provocatrice » au Liban, son rapport au pays natal est pour le moins conflictuel. Et pourtant, elle explique dans une interview : «Au-delà de la provocation pure, c'est la désobéissance qui m'intéresse. » Ainsi, après plusieurs films traitant directement de la guerre et du Liban, elle se détourne de cette lourde charge historique et politique pour envisager des scénarios plus légers, qui lui autorisent la transgression. Entre deux longs-métrages de fiction, elle nourrit son travail d'expérimentations à travers des courts-métrages et des photographies. Elle y emprunte au matériel intime de la famille, des amis, de sa vie à Paris. Sa nouvelle fiction, Peur de rien, qui sortira en France début 2016, flirte avec l'autobiographie. Comme elle, son héroïne arrive en France dans les années 90.

L'exposition présentée à la galerie Cinema est une bande-annonce en images fixes de son film. L'ensemble dessine sur les murs une mosaïque d'instants de vie. « Je dispose les images dans l'espace pour créer une émotion conjuguée de plusieurs photos » raconte Danielle Arbid. Organisées par groupes, les photographies dialoguent par rythme, couleurs, lumière, mouvements. Ce sont des «sensations» prises sur le vif, le spectateur les imagine cinématographiques, s'invente des fictions. Des verres à la main, des amis qui grimacent, des néons rouges, une main glissée dans des cheveux une cigarette entre les doigts... Et puis Paris esquissé sensuellement, les immeubles haussmanniens se fondent avec les lumières des boulevards dans un même lavis qui bave sur le rose de la nuit tombée.

Ce parcours organique célèbre l'effervescence des rencontres et des nuits parisiennes. « À chaque chose qui vous arrive, à chaque personne que vous rencontrez qui a de l'importance à vos yeux, ou bien vous mourrez un peu, ou bien vous renaissez » est écrit sur un livre photographié par l'artiste, mots de Captain John dans Le Fleuve de Jean Renoir. Empreintes d'une expérience de vie, les images de la réalisatrice, en mouvement ou fixes, sont captées « dans une approche très charnelle », elles disent « merci à Paris ».

Insolence et poésie
L'égérie de son kaléidoscope coloré est la jeune Mannal Issa, qui apparaît dans ses photos rayonnante, d'une fraîcheur suave. Elle est également l'héroïne de son film Peur de rien. Et son succès ne fait que commencer puisqu'elle joue pour le prochain film de Bertrand Bonello, Paris est une fête.
Une installation vidéo de Danielle Arbid, dans l'alcôve rouge velours de la salle de projection de la galerie, met en scène l'actrice, qui se balance sous les lumières colorées d'une boîte de nuit. La vitesse de ses mouvements est ralentie manuellement au montage, assouplissant la grâce du geste sur le rythme envoûtant de la musique.

Sur un des murs de la galerie, Danielle Arbid a invité son amie Lamia Ziadé à rentrer en écho avec son travail. Elle aussi a quitté le Liban à 18 ans, pour étudier le graphisme en France. Leurs parcours similaires se prolongent dans la manière qu'elles ont d'appréhender Paris. Lamia Ziadé est l'auteure du roman graphique Bye bye Babylone paru en 2010, saisissante immersion dans son enfance à Beyrouth durant la guerre. Elle signe aujourd'hui un nouvel ouvrage, Ô nuit, ô mes yeux, une ode aux chanteuses orientales que sont Oum Kalsoum, Sabah, Asmahan, Fayrouz, un voyage nostalgique dans l'âge d'or de la culture arabe.

À la galerie Cinema, une série de ses créations aux couleurs flamboyantes narre la panoplie d'une féminité émancipée, où les flacons de parfum et les bouteilles d'alcool se marient dans un même charme raffiné, et les tubes de rouge à lèvres côtoient naturellement l'élégance des cigarettes. Lamia Ziadé dessine un vagin multicolore, joyeuse représentation faite de bouts de fourrure, de tissu et de rubans; matériaux avec lesquels elle fabrique parallèlement une clope géante à paillettes, totem phallique ? Entre les couleurs et l'espace naïf de Matisse, les matériaux de récupération de l'art pop et le kitch d'Almodovar, Lamia Ziadé construit un univers insolent et poétique.

À l'image des histoires qu'elles racontent, dessinent, filment et jouent, ces trois femmes pétillantes rayonnent d'une énergie commune: elles sont libres, jeunes et indisciplinées.

L'exposition « Exotic Girls » se poursuit jusqu'au 20 janvier 2016 à la galerie Cinema, 26 rue St-Claude à Paris.
Avec le soutien de l'Office du tourisme du Liban.

L'OLJ 17/12/2015

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GHAZIR, Lebanon: Serge Hochar was more than just a Lebanese winemaker. He was a man with as much class as the wines he produced. A sage to those who knew him, he first took over his father’s winery, Chateau Musar, in 1959. And with Lebanon’s civil war looming over a decade later, he would be the one to save it. “Wine is above politics,” he said in 2012. “Wine is tolerance.”

 When the country rapidly disintegrated in the 1970s, Hochar chose to export his wine rather than halt production. Not without risk, he had to double his cellar into a bomb shelter while his vineyards were often shelled. Yet as Lebanon endured its darkest era, Chateau Musar shined through to the world. This was most apparent in 1984 when Hochar was named the first “man of the year” by Decanter magazine – one of the most prestigious wine publications in the world.

Sarah Kemp, Decanter’s publishing director, says that Hochar set the benchmark for every nominee they considered in following years. And how couldn’t he be: His wine represented the permanent beauty of a country engulfed in civil war. “We [Decanter] always try to nominate people who have offered a greater contribution in their context than just making a great wine,” she told The Daily Star. “Serge was the epitome of that.”

Nine months following Hochar’s death, Tuesday he was honored again at Chateau Musar’s 85th anniversary at Palais Mzar. That night, wine lovers from across the country gathered in celebration. And though he wasn’t there to bear witness, his contribution to the wine world remains a cherished legacy. “Tonight, we are celebrating my brother’s continuity,” said Ronald, Serge’s brother and head of Musar’s marketing and finance. “Like Lebanon, his wine will always live on.”

Chaeteau Musar gained its reputation from two of its top estate wines. The first was a red that embodied a blend of cabernet sauvignon, cinsault, and carignan while the other was a white made from the local grapes of merwah and obadieh. Merwah is a light colored grape that produces a nutty flavor while obadieh often instills a sweet aroma of honey and lemon. Once introduced to the global market, each wine gained rapid popularity for its distinctive taste. And while Musar’s funky and wild savor didn’t appeal to the palate of every connoisseur, their supreme quality solidified Lebanon’s rank in the international wine scene. “Like anything great, Musar has a distinct signature,” said Kemp, after giving a speech at the celebration to honor Hochar’s life work. “Musar is to wine what Picasso and Van Gogh are to art: As soon as you taste it, you know that it’s a Musar.”

Hochar’s relationship with wine mirrored his perspective on life. During his visit to New York City in 2012, he captivated his guests with his wisdom while pouring glasses of Musar at a late night dinner. “I know nothing about wine,” he said, to a room of guests much younger than him. “I know how to make wine, but I know nothing about wine, and each day I discover that I know less.” “My brother always said that there are two things in this world that will always be unpredictable – wine and the weather,” said Ronald Hochar, a handsome elderly man with grey hair and a sleek suite. “I wish he was here to see this celebration today.”

Despite Serge Hochar’s humility, no one would dare deny his impact on Lebanon’s wine scene. Since the Civil War, the amount of producers in the country have steadily risen from a handful to over 40. And while Chateau Musar remains the pioneer for them all, Hochar’s greatest achievement was introducing an alternative image of his country to the world. Often perceived as a ground for conflict, Musar represented Lebanon as a soil where hope can grow. “A wine like this celebrates the wine tradition in Lebanon,” said Ehajic Khalje, a guest at the anniversary. “I first tried Musar 20 years ago and that was when I found perfection in a bottle.” In his later years, Hochar maintained his extensive travels while gradually handing over winery duties to his sons, Mark and Gaston. When he died Dec. 31 of last year, his wine sold out across the world. And though his family now heads the winery in his absence, his charisma remains alive in all those who knew him. “Serge had much in common with the wine he made,” said Kemp, while holding a wine glass in her right hand. “You couldn’t compare him to anyone.”

Daily Star 12 Octobre 2015

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C'est une maison du bonheur, avec des murs en pierre et un toit traditionnel en tuiles rouges, située au cœur d'un village de montagne, Ain el-Abou, à 1 100 mètres d'altitude. Depuis 25 ans, on y fabrique d'une manière artisanale et professionnelle des confitures, des sirops et autres gourmandises.

Un quart de siècle a passé depuis l'apparition sur le marché de bouteilles de sirop et de surprenants petits pots de confiture de 30 g concoctés à base de produits naturels. Le tout relevé d'une étiquette alors très éloquente, elle aussi « faite maison ». À l'époque, ce 100 % naturel n'était pas chose courante. Mymouné, une affaire de cœur, une affaire de sœurs, Youmna Goraieb et Leila Maalouf, passionnées de leur région, avait ainsi lancé une manière simple et authentique de fabriquer des sirops et des confitures, de mûres d'abord.
Au fil des saisons et des années, l'équipe s'est agrandie, les femmes de cette belle montagne prêtant leur savoir-faire à la fabrication des produits. Randa Geagea, la fille de Leila, rejoint l'équipe administrative en 1995, un mot bien trop sérieux pour ces dames qui s'étaient improvisées femmes d'affaires à succès. Randa, des diplômes en business et marketing sous le bras et surtout experte culinaire, apporte son expérience et son savoir-faire au parcours de la marque. Mymounéconnaît vite un succès mérité au Liban mais aussi à l'international. Les produits se vendent en Angleterre, en France, en Australie, sur la côte est des États-Unis et à Hong Kong. 25 ans après, l'heure de la célébration a sonné, et celle des changements... dans la continuité.

Le retour
Depuis bientôt un an, cette affaire de femmes qui reste une affaire de famille s'est livrée corps et âme à un homme, Amine Goraieb, fils de Youmna. Fils aussi de Issa, dont il a la voix profonde, le regard et le charisme. Côté pile, il a évolué dans les finances, en travaillant en France et à Londres auprès de grandes boîtes, puis à Hong Kong auprès de la banque UBS. Côté cœur, l'homme à la barbe rebelle aime les voyages, un tour du monde de 11 mois, et les défis qui dialoguent avec l'esprit mais aussi les émotions. Il décide d'abord de quitter la banque, « je ne m'amusais plus comme avant », dira-t-il, préférant parier sur des start-up prometteuses.

Au cours d'un voyage au Liban pour célébrer les fêtes de Noël en famille, justement, Amine Goraieb réalise l'évidence. « Au lieu d'investir dans des boîtes qui se trouvent au fin fond du monde, pourquoi ne pas m'intéresser à cette entreprise extraordinaire, chez moi, qui a besoin d'une nouvelle énergie et de capitaux pour se ressourcer ? » Après mûre réflexion, « je me suis rendu disponible pour voir plus clair et j'ai pu voir », confie-t-il, il rentre au Liban, des projets précis dans les bagages. « Ce n'est pas seulement un projet émotionnel. Il est surchargé d'émotions, mais ça ne devait pas être uniquement ça. » Avec un maximum d'informations, il plonge dans le sujet « scientifiquement » pour, précise-t-il, « évaluer le potentiel de Mymouné et ses besoins », très conscient de cette responsabilité qu'il avait vis-à-vis des fondateurs, « toutes les personnes qui ont mis leur âme dans le projet et ceux qui vivent de Mymouné. » Quatre personnes aux manœuvres, dans une profonde complicité, un plan parfaitement structuré et un nouveau vent qui souffle sur le label, le rajeunissant sans en rien le défigurer. Une belle manière de célébrer ses 25 printemps.

Modernité et tradition
La « mue », comme il qualifie les changements, commence par un nouveau site web, un relooking du packaging, à découvrir très bientôt, et surtout un repositionnement. « Nous avons pénétré les marchés d'export dans le monde comme un produit ethnique, sauf en Angleterre, en France et aux États-Unis où nous sommes vendus dans de grandes épiceries, précise Amine Goraieb. Nous visons la clientèle des épiceries fines, qui vient à la recherche de produits de qualité. Il nous a donc fallu adapter notre nouvelle identité aux codes visuels de cette catégorie de produits. » En ce qui concerne la fabrication, l'exigence au niveau des matières premières reste la même, ce qui changera, ce sont les procédés de travail, plus scientifiques, qui permettront au label de grandir, et la capacité d'assurer ces matières premières à une plus grande demande. « Nous avons commencé notre agriculture propre, de thym, sumac et autres produits. Nous espérons que Mymouné pourra vivre le développement attendu. » Au menu, également, de nouveaux produits et de nouveaux parfums, plus créatifs, inattendus, adaptés aux saisons, tout en perpétuant le goût du vrai. « Nos concurrents directs, dit-il, sont les grands-mères ! »
Le 7 juin, dans cette maison gardienne des traditions et des plus beaux souvenirs, une fête sera donnée pour partager avec les amis la saveur de cette réussite et porter son verre (d'eau de rose) aux années à venir.

29/05/2015
 

 

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Les murs s'agrandissent, la vision et les défis s'élargissent, mais la base demeure : visite de (re)découverte du lieu, après 7 ans de fermeture. Et aperçu des 4 expositions qui inaugurent sa réouverture ce jeudi 8 octobre.

Sept ans de travaux! Voilà le temps qu'il aura fallu au musée Sursock pour accomplir sa mue et passer du statut de vénérable demeure muséale en véritable institution artistique agrandie et réaménagée aux normes du XXIe siècle.

Le palais blanc légué au siècle dernier par Nicolas Sursock aux arts et artistes du Liban garde son allure et sa façade, princières, tout en s'adaptant aux exigences du temps présent. Écrin somptueux d'œuvres modernes libanaises majeures, il entre cette fois de plain-pied dans l'ère contemporaine. Et rappelle qu'en art aussi il ne peut y avoir d'avenir sans retour au passé...

C'est d'ailleurs ce qu'évoquent d'emblée Les pleureuses (1932) qui accueillent les visiteurs à l'entrée même du grand portail extérieur. Cette ancienne statue des Martyrs, taillée dans la pierre libanaise par Youssef Hoyek, était déjà là depuis les années 50, après son remplacement par l'actuel monument du centre-ville. «Cette œuvre était très contestée à l'époque. On ne la jugeait pas assez moderne et lorsqu'elle avait été démise de la place publique, le musée Sursock l'avait récupérée», indique Zeina Arida Bassil, la nouvelle directrice des lieux, qui vient de la Fondation arabe pour l'image, qu'elle dirigeait et dont elle a été la cofondatrice. C'est donc cette sculpture qui trône dans la cour d'entrée, au milieu d'autres œuvres de pierre de Michel Basbous, Jamil Molaeb et Viola Kassab. Elle porte en quelque sorte l'étendard du musée Sursock et annonce ses couleurs: collecter, préserver, exposer et raconter le patrimoine artistique libanais.

 

Ouvert en 1961, réaménagé une première fois au début des années 70, le musée Sursock était néanmoins resté trop petit pour accueillir des expositions temporaires simultanément avec l'accrochage de la collection permanente. C'est de là, et à l'initiative de Ghassan Tuéni, alors président du comité du musée, que le projet d'élargissement a été décidé en 2008. «Il fallait agrandir le musée sans toucher au bâtiment historique, évidemment classé. L'idée était que les architectes devaient intervenir le moins possible. Et c'est dans cet esprit que Jean-Michel Wilmotte et Jacques Aboukhaled ont rénové l'édifice principal en y ajoutant de part et d'autre, mais néanmoins en retrait, des cages d'escaliers à travers lesquelles se fait maintenant la circulation dans le musée. Pour pouvoir agrandir l'espace, les deux architectes ont été dans la verticalité en sous-sol. Ils ont creusé environ 20 mètres sous cette maison construite en 1912 – donc sans fondations, ce qui a nécessité deux ans de travaux d'excavation – pour adjoindre 4 étages sous le jardin», raconte Zeina Arida.

 

«Deux de ces 4 étages supplémentaires sont dédiés à l'accueil du public et comprennent, outre une salle d'exposition temporaire de 800 mètres carrés (aux lutrins permettant de capter une très belle lumière zénithale) inaugurée par un magnifique accrochage d'œuvres picturales et photographiques célébrant Beyrouth, de 1800 à 1960 (lire ci-contre), un auditorium (équipé d'outils audiovisuels et de traduction simultané) et une médiathèque (où les visiteurs pourront consulter les importantes archives du musée). Tandis que les deux autres hébergent des espaces techniques, dont deux réserves aux conditions climatiques différentes, des salles de travail et des ateliers de restauration totalement équipés... Par ailleurs, une extension en verre et acier a été discrètement ajoutée en bordure de l'esplanade du musée pour héberger un café-restaurant et une boutique-librairie », signale la directrice.

Twin Galleries

L'accès au musée se fait désormais du rez-de-chaussée. À peine pénètre-t-on sous le double escalier extérieur que le ton est donné: clarté et épurement des lignes et des matériaux modernisent le lieu en toute discrétion. De part et d'autre du hall d'accueil, les Twin Galleries, deux salles qui fonctionnent comme un seul espace et qui sont dédiées aux expositions (4 par an) d'œuvres de jeunes artistes.

Elles sont justement inaugurées par les œuvres multimédias d'un groupe d'artistes, designers et chercheurs ayant travaillé sur les transformations urbaines et contemporaines de Beyrouth. L'accrochage baptisé The City in The City offre ainsi (jusqu'au 11 janvier), à travers des films, images et cartographies signés 98 Weeks, Vartan Avakian, Roy Dib, Mona Fawaz, Ahmad Gharbieh, Randa Mirza, ainsi que des œuvres publiques présentées par Nadine Begdache et Abir Saksouk-Sasso, une myriade de visions de cette ville multiple, entre passé et présent, réalité et fantasme. «Nous avons voulu que les différentes expositions inaugurales soient en lien. En l'occurrence, à travers le thème de Beyrouth», indique Zeina Arida. Et de poursuivre: «Comme ce musée est un espace semi-public, on a cherché à aborder l'art contemporain de manière accessible, en liant les histoires ensemble, sans se cloisonner dans une période et en s'ouvrant à tous les médiums, toutes les pratiques. Mais en gardant cependant un cadre qui permet de donner sens.»

La photo entre au musée

C'est dans cet esprit que le musée Sursock héberge désormais la collection Fouad Debbas. C'est-à-dire quelques 30000 clichés photographiques, cartes postales, illustrations et gravures du Liban et de la région entre 1830 et 1960. Des photos qui feront l'objet d'une série d'accrochages thématiques, dont le premier, baptisé Picturing Identity, donne à voir dans une salle aux boiseries anciennes du premier étage (toujours jusqu'au 11 janvier) des cartes de visite et des portraits en studio signés Bonfils, Saboungi ou encore Abdallah frères, retraçant la typologie des classes sociales dans le Liban de la fin du XIXe siècle.

Collection permanente en deux volets

C'est également au premier étage que se trouve l'une des deux salles réservées à la collection permanente. Située à proximité du bureau de Nicolas Sursock et du salon oriental préservés en l'état, «afin de reconstituer un peu l'atmosphère et le cadre de vie de ce personnage qui a fait un geste philanthropique assez important», elle rassemble des toiles, essentiellement des portraits du maître des lieux faits par des artistes contemporains: Habib Srour, Daoud Corm, Khalil Saliby, Moustapha Farroukh, César Gemayel, Omar Ounsi ou encore Georges Sabbagh et Khalil Zogheib...

Mais c'est à l'étage du dessus que se trouve le noyau central de la collection permanente comprenant de très belles et importantes œuvres des maîtres de la peinture moderne libanaise : Paul Guiragossian, Saliba Doueihy, Salwa Raouda Choucair, Chafic Abboud, Yvette Achkar, Etel Adnan, Aref el-Rayess, Hussein Madi ou encore Assadour... «Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, Nicolas Sursock aimait l'art, mais n'était pas collectionneur. Il ne possédait qu'un nombre limité de toiles, dont deux portraits de lui, l'un peint par Philippe Mourani et le second par Kees Van Dongen (en restauration). C'est le musée qui a commencé à constituer une collection à partir de 1961», explique Zeina Arida. «Les dix premières années, avant la première rénovation qui a eu lieu de 1970 à 1974, le musée a fait beaucoup d'acquisitions de pièces majeures d'artistes qui gagnaient à l'époque les premiers prix du Salon d'automne et qui sont aujourd'hui devenus les grands noms de l'art moderne. Durant la guerre et avec les problèmes sécuritaires, le musée ne faisant plus tellement d'acquisitions, ce sont les dons des artistes et des collectionneurs, certains legs aussi comme celui de Pierre Cordahi, qui ont permis d'alimenter la collection. C'est là où elle s'est diversifiée. Ce n'étaient plus uniquement les premiers prix qui intégraient le musée. Ce qui rend cette collection intéressante, ce n'est pas le nombre d'œuvres (parce qu'elle reste une petite collection), mais le fait qu'elle raconte non seulement l'évolution des pratiques artistiques au cours d'une certaine période au Liban, mais aussi l'histoire du musée et de sa programmation», signale-t-elle.

Pour la jeune directrice, le défi est «de donner une audience à ce musée. En rendant l'art (ou sa présentation?) plus ludique, plus accessible, moins impressionnant et élitiste... Nous voulons donner envie aux gens de venir aux expositions. Et pour cela, outre les médiateurs culturels qui seront présents dans toutes les salles afin de répondre aux questions des visiteurs, nous avons établi des programmes publics et des visites guidées qui s'adressent aussi bien aux enfants qu'aux familles et à toute sorte de publics différents». L'invitation est lancée... À partir de ce jeudi 8 octobre.

Beyrouth éternelle...

À tout seigneur, tout honneur, c'est à Beyrouth qu'est consacrée la grande exposition temporaire qui ouvre la nouvelle ère du musée, avec Regards sur Beyrouth: 160 ans d'images 1800-1960. Prévue depuis quelques années déjà, elle a été conçue et préparée longuement par Sylvia Agémian (qui a été la commissaire d'expositions du musée Sursock durant les 4 dernières décennies), avec la contribution de Gaby Daher, Samir Moubarak et Michael Davis. Elle aborde la représentation de la ville de Beyrouth à travers des peintures, photos et gravures réalisées entre 1800 et 1960. Et signées aussi bien par Aref el-Rayess, Hussein Madi, Khalil Zogheib, Amine el-Bacha ou David Hockney (place des Canons; 1966). Monté à partir de 250 œuvres empruntées à quelque 35 collectionneurs (pour la plupart libanais et dont les collections se trouvent au Liban), cet accrochage, présenté en six sections (vues panoramiques; le port; la ville; la côte; les provinces et les collines avoisinantes), offre une lecture visuelle et artistique de l'évolution géographique, sociale et même politique de Beyrouth au cours de ces 160 années.

 

OLJ 5 octobre 2015

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Aurait-on pu imaginer un jour les paroles du « Prophète » de Gibran s'animer, danser et chanter dans un film ? Ce rêve est devenu possible grâce à la volonté et la vision de l'actrice/productrice Salma Hayek. Elle est au Liban pour la première fois, pour retrouver ses racines, pour présenter le film en première mondiale et pour se confier à « L'Orient-Le Jour », bomba latina, ambassadrice de paix déterminée à montrer qu'elle a encore plus d'un tour dans son sac (Gucci).

Elle entre d'un pas assuré dans la suite de l'hôtel Le Gray où on l'attend depuis de longues minutes. Ses cheveux couleur de jais se marient avec le noir qu'elle porte si bien (et souvent), mais aussi avec ses yeux noirs et pétillants. Elle s'excuse aussitôt pour le « petit » retard. Sa journée était longue, « mais si belle » et riche en émotions : elle s'était rendu quelques heures auparavant dans un camp de réfugiés syriens...

Salma Hayek se meut comme un félin, comme cette Kitty de Puss in Boots dont elle partageait l'affiche avec l'Antonio de ses débuts. Son aventure cinématographique avait ainsi commencé dans le Desperado de Roberto Rodriguez, aux côtés, déjà, d'Antonio Banderas. Depuis, cette boule de feu, cette bomba latina, comme on l'appelle, s'est mise à se frayer son petit chemin. Véritable électron libre dans le milieu hollywoodien, elle y a affirmé ses particularités et, encore une fois, comme une féline, elle a su marquer son territoire.

Obsession de paix
Impatiente mais décidée et téméraire, l'actrice choisit ses rôles par intuition. Car le cinéma pour elle peut être « divertissant, ou engagé ». Après Frida Kahlo dans lequel elle incarnait littéralement la peintre géniale et folle, et la série télévisée Ugly Betty qu'elle a produite et par laquelle elle a voulu porter haut la voix des travailleuses colombiennes, la voilà qui donne naissance à un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, soutenue par un travail collectif tant sur le plan financier et technique que libanais et international.
Son nom, Salma, évoque tout naturellement la paix, et celui de sa fille Paloma (colombe en français...) en est le symbole... Elle réplique immédiatement : « D'ailleurs, elle est née le 21 septembre, date de la Journée mondiale de la paix. » Et c'est exactement cette empreinte que Salma Hayek voudrait laisser dans ce Liban, son Liban, embourbé dans la tourmente d'une région bouleversée. « Gibran a réussi à transmettre ce message de paix, puisque cet ouvrage, vendu à plus de cent millions d'exemplaires dans le monde et perçu comme véritable ouvrage de philosophie, est lu et apprécié par toutes les religions et par toutes les générations. Je voulais rappeler au monde qu'il y avait un Arabe qui a été rassembleur avec sa philosophie et qui disait la vérité sans offenser personne. »

Mamma...
Mais la vraie raison de l'implication de cette passionaria dans cette production est plus simple que cela et remonte à son enfance, vers ses six ans, lorsque son grand-père lui lisait des passages du Prophète. « À ma manière, je me reconnecte avec lui, puisqu'il n'est plus là, et j'applique les préceptes qu'il m'a enseignés. » La famille est une valeur particulièrement importante pour cette mamma qui, lorsqu'elle parle de sa fille, sort les griffes : « Vous savez, elle m'épate. Je suis d'accord avec Gibran : les enfants ne sont pas à nous, ils appartiennent à la Terre, mais pour l'instant elle est encore à moi », dit-elle en rigolant.
« Cet ouvrage parle de paix, certes, mais aussi de liberté. Quand nous tournions le film, nous nous sentions libres d'utiliser toutes les techniques. D'ailleurs, les vrais faiseurs de films sont les spectateurs qui portent en toute liberté un regard démultiplié et différent sur The Prophet. »

... mais aussi al-Mitra
En évoquant le projet qui a nécessité plus de quatre ans de travail, ses yeux de braise s'enflamment. On y lit des souvenirs, des images d'une enfance heureuse, ce « riche imaginaire des enfants que chacun de nous perd en grandissant ». Et l'on devine que bien que l'actrice prête sa voix au personnage de la maman, elle serait également le personnage de la petite fille, la al-Mitra du film.
Salma Hayek esquisse alors un sourire malicieux et, tout en repliant ses jambes pour mieux se lover dans le fauteuil, elle répond de cette voix chaude reconnaissable entre cent : « C'est vrai. Le caractère d'al-Mitra, bien qu'inspiré de ma fille Paloma selon certains réalisateurs, c'est également moi. Muette au début du film, elle retrouvera par la suite sa voix. Grâce à l'art, par les challenges et la poursuite d'un but, on peut trouver sa voix, sa voie. Si je me suis lancée dans cette carrière de productrice qui me plaît énormément, au fond de mon cœur j'ai encore un seul souhait : réaliser un film. » Et d'asséner : « Attendez... C'est à ce moment-là que vous entendrez ma vraie voix. »

27/04/2015
 

 

 

 

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