En 2012, la comédienne libanaise vient en Avignon pour jouer « Ma Marseillaise », son nouveau spectacle dont, peu avant, elle a modifié la fin, aprèsavoir vu sa demande de naturalisation refusée. C’est alors qu’un article du « Monde » va interpeller Manuel Valls, ministre de l’intérieur.
Libanaise, je suis arrivée en France en 2005. En 2007, j’ai présenté mon premier spectacle, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, à Avignon, dans le « Off », au Théâtre des Halles. Ce fut un grand succès. Après, j’ai tourné pendant quatre ans avec ce spectacle, qui s’inspirait largement de mon histoire au Liban, pendant la guerre. En même temps, j’écrivais une suite, Ma Marseillaise, sur mon arrivée en France, et je préparais une demande de naturalisation, que j’ai déposée en 2012.
Une semaine avant la première de Ma Marseillaise, qui elle aussi a été créée au Théâtre des Halles, j’ai reçu une lettre recommandée du ministère de l’intérieur. Je suis allée la chercher à la poste, je l’ai ouverte, et j’ai éclaté en sanglots : ma demande était refusée, au motif que mon insertion professionnelle était incomplète. C’était surréaliste, parce que j’avais travaillé tout le temps, et que j’étais en règle avec le régime des intermittents dont dépendent les comédiens. Mais, être intermittent, c’est alterner des périodes d’emploi et de chômage. Et cette situation ne donne pas droit à la naturalisation. Il faut avoir un contrat à durée indéterminée.
Avignon : porte-bonheur
J’étais complètement démoralisée quand je suis arrivée à Avignon. Je me demandais comment j’allais gérer cette situation, je ne me voyais pas refaire les papiers tous les six mois, avec tout ce que cela implique. Comme je termine mon spectacle en chantant La Marseillaise, j’ai décidé de rajouter une phrase, à la fin du spectacle, pour dire qu’on m’avait refusé la nationalité. Je l’ai fait. Et, une nouvelle fois, Avignon m’a porté bonheur.
Non seulement Ma Marseillaise a connu le succès, ce qui n’était pas du tout acquis, mais un journaliste du Monde est venu, il a aimé le spectacle et a écrit un article le 21 juillet 2012 dans lequel il parlait du refus de la naturalisation.
Le jour même de la parution, le bureau du ministre de l’intérieur, M. Valls, a laissé un message au Théâtre des Halles me demandant de rappeler un numéro précis. Je n’étais pas au théâtre, mais, le lendemain, quand j’y suis arrivée, Alain Timar, le directeur, m’a accueillie en disant : « Tu vois comme ça sert, le théâtre. M. le ministre t’a appelée. Il va te donner la nationalité. »
J’ai cru que c’était une blague, Alain aime en faire. Mais quand je suis montée dans le bureau et que j’ai entendu le message, j’ai compris que c’était vrai. J’ai appelé le ministère, on m’a dit que le ministre avait lu l’article, il connaissait mon travail et il me présentait ses excuses : le refus de la nationalité était une erreur administrative qu’il fallait corriger, la République serait honorée de mevoir porter ses couleurs, me disait en substance son secrétariat. Je n’arrivais pas à sortir un mot, je tournais dans le bureau, en pleurant de joie.
Au téléphone, on m’avait précisé que je devais présenter un recours, et que le ministre allait annoncer qu’il ne serait plus nécessaire d’avoir un contrat à durée indéterminée pour obtenir la nationalité française. C’est ce qui s’est passé.
Le 16 octobre 2012, le ministère de l’intérieur a spécifié dans une circulaire que « la nature du contrat (CDD, contrat d’intérim) ne doit pas constituer un obstacle en soi, dès lors que l’activité permet de disposer de ressources suffisantes et stables ». J’ai eu mon passeport entre les mains le 31 décembre 2012, et j’ai reçu ma carte d’identité le 12 janvier 2013.
Ainsi, un article du Monde a changé ma vie. Mais pas seulement la mienne. Il a aussi changé la vie d’autres personnes qui, désormais, pourront, comme moi, être intégrées dans la société où elles ont choisi de travailler, et de vivre. »
Le Monde 3 juillet 2014
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